L'arsenal de drones que possède l'Iran
L’Iran dispose d’un arsenal de drones d’attaque particulièrement diversifié, développé pour compenser ses limites dans l’aviation conventionnelle. Ces drones servent à la fois à des missions de surveillance, de frappes de précision et d’attaques suicides (drones kamikazes). Cette stratégie low-cost mais technologiquement efficace renforce la profondeur stratégique de l’Iran au Moyen-Orient et au-delà.
Parmi les modèles les plus connus figure le Shahed-129, un drone MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance) doté d’une autonomie de 24 heures et d’une portée d’environ 1 700 km, avec une hauteur maximale de 7 300 mètres.
Il est capable de transporter jusqu’à quatre missiles Sadid-345. Comparé au MQ-1 Predator américain, il présente l’avantage d’une bonne endurance et d’une capacité offensive crédible. Toutefois, sa signature radar reste assez élevée, ce qui le rend vulnérable aux défenses anti-aériennes modernes.
En complément, l’Iran mise également sur des drones kamikazes, à l’image du Shahed-136, devenu emblématique lors de la guerre en Ukraine sous le nom russe de Geran-2. Ce drone à bas coût (20 000 dollars l'unité) dispose d’une portée remarquable de 2 000 à 2 500 km et transporte une charge explosive pour frapper directement sa cible. Il est particulièrement efficace dans une stratégie de saturation.
L'utilisation simultanée de dizaines, voire de centaines de ces drones bon marché permet de saturer les défenses ennemies, si efficaces soient-elles. Il suffit qu'un seul drone franchisse les lignes pour infliger des dégâts importants au sol, grâce à sa charge utile de 50 kg d'explosifs (pour une masse totale de 200 kg).
C'est en ce sens que certains militaires lui ont donné le surnom de « kalachnikov du drone », en référence au fusil d'assaut de fabrication soviétique, rustique et bon marché, utilisé aujourd'hui encore partout dans le monde.
Cependant, sa lenteur (185 km/h), son bruit distinctif et son manque de manœuvrabilité le rendent facilement détectable et interceptable. De plus, guidés par GPS, ils peuvent être brouillés ou détruits par des défenses anti-aériennes (missiles, mitrailleuses) ou par des missiles air-air tirés par des chasseurs.
Pour pallier ce défaut, les ingénieurs iraniens ont commencé à intégrer des puces de communication par satellite ou par 4G afin de permettre un télépilotage du drone : des éléments de ces systèmes de contrôle à distance ont commencé à être trouvés dans des épaves à partir de décembre 2023 dans la guerre en Ukraine.
Sa taille, 3,5 m de long pour 2,5 m d'envergure, le rend facilement détectable par les radars, d'autant plus qu'il ne dispose pas de revêtement furtif pour réduire sa signature radar.
« Le Shahed est un abaisseur de seuil, à la fois pour l'utilisateur de ces drones low cost, mais aussi pour les défenseurs qui sont incités à utiliser des systèmes antiaériens plus rustiques et moins coûteux », explique Aurélien Duchêne, consultant en géopolitique et défense. Il permet aussi de mener une guerre d'usure en obligeant l'ennemi à tirer de coûteux missiles antiaériens, dont la valeur peut atteindre deux millions d'euros pièce.
Dans une logique de montée en gamme, l’Iran a aussi développé le Shahed-191 (ou Saegheh-2), un drone furtif dérivé du RQ-170 Sentinel américain capturé en 2011. Avec une vitesse de 300 km/h une portée de 450 km, et une altitude potentielle de 7600 mètres, il embarque deux missiles Sadid-1 dans une soute interne, ce qui améliore sa discrétion radar. Ce modèle se distingue par sa capacité à mener des missions de pénétration ciblée, mais il souffre d’un rayon d’action limité et d’une capacité d’armement réduite.
À un niveau encore supérieur, le Shahed-149 "Gaza" incarne l’ambition iranienne de disposer d’un drone lourd multirôle. Avec une autonomie de 35 heures, une portée de 2 000 km et une capacité d’emport de 13 bombes guidées, ce drone est comparable au MQ-9 Reaper. Il permet des frappes prolongées sur de longues distances, tout en assurant des missions de reconnaissance. Toutefois, sa grande taille et sa faible vitesse le rendent vulnérable sans couverture électronique ou aérienne.
Par ailleurs, l’Iran s’appuie sur des drones plus tactiques comme le Mohajer-6, qui affiche une portée d’environ 200 km et une capacité d’emport de quatre missiles à guidage laser. Il est simple, robuste, et efficace dans des théâtres moins contestés, comme l’Éthiopie ou le Venezuela, où il a été exporté.
Il dispose d'une tourelle de capteurs à cardan avec capteurs électro-optiques/infrarouges et télémètre laser, et peut effectuer des décollages et des atterrissages automatisés. Côté armement, il peut emporter deux bombes planantes Qaem-1 (guidées par télévision, ou utilisant des autodirecteurs laser ou infrarouge) sur des points d'emport sous les ailes, mais peut également emporter des charges utiles de guerre électronique, de brouillage et de capteurs électromagnétiques (ESM).
Les attaques seront donc plus orientées contre un véhicule blindé ou un dépôt d’armes. Introduit dans l’arsenal iranien depuis 2017, l’Iran a livré plusieurs Mohajer à l’Éthiopie ainsi qu’au Venezuela. Mais sa faible autonomie et ses limitations en navigation rendent son emploi risqué face à des adversaires dotés de brouillage électronique ou de défenses modernes.
Dans cette logique d’évolution, le Mohajer-10 vient enrichir la gamme MALE avec une autonomie de 24 heures, une portée estimée à 2 000 km et une charge utile de 300 kg. Il peut embarquer des missiles Almas ou des bombes Ghaem, se rapprochant ainsi des standards des drones occidentaux. Ce drone peut aussi voler à une vitesse maximale de 210 km/h, est doté d'équipements électroniques de reconnaissance. Bien qu’encore en retrait sur les plans de la furtivité et de la vitesse, il constitue une plateforme polyvalente crédible pour les forces iraniennes.
Enfin, l’Iran a récemment dévoilé le Shahed-238, version turboréacteur du Shahed-136. Ce drone kamikaze nouvelle génération est plus rapide, plus difficile à intercepter, et dispose d’une portée estimée entre 1 500 et 2 000 km. Il utilise des capteurs électro-optiques, infrarouges et un guidage GPS, améliorant sa précision. Néanmoins, sa complexité technique et son coût plus élevé limitent pour l’instant sa production en masse.
Parmi les modèles complémentaires, on retrouve tout d’abord le Shahed-131, une version plus compacte du célèbre Shahed-136. Il s’agit d’un drone kamikaze (munition rôdeuse) disposant d’une portée d’environ 900 km. Son principal avantage est sa petite taille, qui le rend plus difficile à détecter par les radars ennemis, notamment lorsqu’il est utilisé en essaim. En revanche, sa charge explosive est plus faible et sa précision reste inférieure aux drones plus sophistiqués.
D’ailleurs, la Russie avait désigné le Shahed-131 comme Geran (Géranium)-1 et le Shahed-136 comme Geran-2 en service. La Russie en avait besoin pour compléter ses stocks de missiles de croisière lancés par voie aérienne et maritime, qui s'épuisent rapidement et qui dépendent d'une quantité décroissante de composants électroniques importés.
Avec une portée effective de plusieurs centaines de kilomètres, les Shahed ont permis à l'armée russe de frapper des cibles au cœur de l'ouest et du centre de l'Ukraine depuis des points de lancement en Crimée et dans le sud de la Biélorussie.
Dans le domaine de la furtivité, les drones Shahed-141 et Shahed-171 "Simorgh", inspirés du RQ-170 Sentinel américain, sont conçus pour des missions de reconnaissance et de frappe en profondeur. Ils possèdent une portée d’environ 1 000 km. Leur conception à faible signature radar leur confère un avantage considérable pour des incursions discrètes. Cela dit, leur technologie complexe implique un coût élevé de développement et de production.
Toujours dans cette logique de diversification, l’Iran a développé le Shahed-197, un drone polyvalent destiné à la fois à la surveillance et à la frappe. Sa portée exacte n’est pas publique, mais il est conçu pour des opérations offensives modulables. Il offre une certaine polyvalence, mais les informations disponibles sur ses performances restent limitées, rendant son évaluation partielle.
À un niveau plus tactique, le drone Ababil-2 offre une solution simple et bon marché pour des missions de reconnaissance ou d’attaque à courte portée. Il dispose d’une portée de 100 à 150 km. Facile à déployer, il est adapté à des conflits asymétriques. Cependant, sa faible portée et sa vulnérabilité aux systèmes modernes de défense limitent son intérêt face à des adversaires bien équipés.
Pour un peu plus de profondeur, le Ababil-3 constitue une amélioration, avec une portée d’environ 250 km. Il peut embarquer un armement léger et assurer des missions prolongées de reconnaissance. Son principal point faible reste une vitesse lente et une faible furtivité, ce qui le rend peu adapté à des environnements fortement contestés.
Par ailleurs, le drone Karrar représente une capacité offensive significative. Il s’agit d’un drone de combat à longue portée, capable de parcourir jusqu’à 1 000 km, avec la possibilité d’emporter des bombes et missiles. Il constitue une plateforme robuste, mais sa grande taille et sa manœuvrabilité limitée le rendent aisément détectable. Servant encore principalement de drone cible, le Karrar peut être utilisé comme arme kamikaze et a été adapté pour transporter une bombe non guidée Mark 82 ou deux bombes Mark 81 ou deux missiles anti-navires Kowsar ou Nasr-1.
À l’opposé, le Razvan est un drone kamikaze léger, conçu pour des frappes à très courte distance, avec une portée d’environ 20 km. Facile à transporter et à déployer, il est utile dans des contextes urbains ou des opérations ponctuelles. Néanmoins, sa charge utile très réduite et sa portée minimaliste limitent son impact stratégique
Dans un registre plus ambitieux, le Arash-2 est l’un des drones kamikazes iraniens ayant la plus grande portée, estimée à plus de 2 000 km. Conçu pour des frappes stratégiques de très longue distance, il emporte une charge explosive importante. En contrepartie, sa taille imposante en fait une cible plus facile à détecter pour les systèmes de défense aérienne performants.
Ensuite, le Yasir, basé sur le drone américain ScanEagle, est utilisé principalement pour des missions de reconnaissance, avec une portée d’environ 200 km. Il offre de bonnes capacités d’observation, mais n’est pas armé, ce qui le cantonne à des fonctions d’appui et d’observation.
Enfin, considéré comme le plus grand drone iranien, le drone de combat longue portée Fotros a été dévoilé en grande pompe avant les négociations sur le contrôle des armes nucléaires en 2013. Il est censé avoir une portée de 1 900 kilomètres, une autonomie allant jusqu'à 30 heures, une altitude maximale de 7 600 mètres et une charge utile pouvant contenir jusqu'à six bombes planantes de précision Qaem-1. Après avoir disparu des médias pendant des années, ce type d'appareil a refait surface lors d'un exercice en 2020 et serait désormais en service au sein du CGRI.
L’agence de presse Fars, proche des Gardiens de la Révolution a indiqué que dans le domaine des drones, le ministère iranien de la Défense poursuit activement le développement de la cinquième génération de drones stratégiques par le biais d'une initiative intitulée "drone leap".
Ce programme global comprend l'amélioration de l’intelligence artificielle, du soutien des drones aux troupes sur le sol ou encore du renforcement des technologies de brouillage électronique.
Par conséquent, la technologie iranienne en matière de missiles et de drones lui a donc permis de compenser le vieillissement de sa force aérienne et de représenter une menace aérienne croissante pour les forces américaines et israéliennes dans la région. Si les autorités iraniennes affirment que ces armes visent à accroître les capacités de défense et de dissuasion de Téhéran, des États voisins, comme l'Arabie saoudite, ont exprimé leur inquiétude quant à la capacité de l'Iran à frapper des cibles situées en profondeur sur leur territoire.
Les dirigeants politiques et militaires iraniens ont alimenté ces inquiétudes en qualifiant leur doctrine de défense de « défense offensive » ou de « défense avancée », une stratégie centrée sur la réponse de l'Iran aux menaces ennemies avant que le territoire iranien ne soit frappé.
Cette doctrine a été officiellement adoptée en 2003 et réitérée dans les plans quinquennaux de développement de 2004 et 2017, approuvés par le Parlement iranien. En 2023, le septième plan quinquennal de développement a également explicitement souligné l'importance du développement de la technologie des drones de combat .
Cette menace est reconnue à Washington, « L'Iran démontre qu'une capacité relativement robuste n'a pas besoin d'être très avancée et que pratiquement n'importe quelle force militaire peut se permettre d'acquérir un nombre illimité de drones », a déclaré Samuel Bendett, spécialiste des drones au Centre d'analyse navale américain, suggérant que la technologie ne fera probablement que se développer. « Plutôt que d'investir dans des capacités de combat plus coûteuses, cela montre qu'il est plus économique d'acheter un drone en espérant qu'il percute quelque chose ou que l'ennemi dépense des ressources pour l'abattre. »