Israël-Iran : l’équilibre précaire du marché pétrolier mondial
Depuis deux ans, le Moyen-Orient vit au rythme de tensions persistantes. Les attaques houthies sur les navires commerciaux, les campagnes militaires israéliennes à Gaza et au Liban, et les échanges de tirs de roquettes entre Israël et l’Iran ont marqué une montée en intensité sans pour autant provoquer de rupture brutale sur les marchés pétroliers.
Malgré ces frictions, l’approvisionnement mondial est resté stable, et la volatilité des prix a été contenue. Cette résilience tient à une réalité : jusqu’à présent, les hostilités n’ont pas touché les infrastructures énergétiques critiques, et les marchés n’ont fait que pricé une prime de risque modérée, liée à la possibilité, et non à la matérialisation, d’un choc d’offre.
Ce statu quo fragile est cependant de plus en plus menacé. Les déclarations récentes de Benyamin Netanyahou et de Donald Trump suggèrent une dynamique d’escalade difficile à enrayer. Le Premier ministre israélien affirme vouloir poursuivre les frappes contre l’Iran « aussi longtemps qu’il le faudra », tandis que Trump parle d’actions futures israéliennes « encore plus brutales ».
Le risque d’un conflit prolongé, même sous forme d’attaques ponctuelles, devient donc de plus en plus concret. Si une guerre ouverte entre Israël et l’Iran reste évitable, un enchaînement de représailles asymétriques pourrait néanmoins perturber partiellement l’offre iranienne.
Trois scénarios principaux émergent. Dans le premier, une intensification des sanctions occidentales contre l’Iran, sans attaque directe sur ses infrastructures, pourrait réduire l’offre d’environ 600 000 barils/jour, soit 0,6 % du total mondial. Cela entraînerait une hausse de 5 à 10 dollars par baril, un choc absorbable dans l’environnement actuel.
Dans le second scénario, Israël décide de cibler les terminaux pétroliers iraniens, dont le plus stratégique, l’île de Kharg, représente plus de 90 % des exportations de brut du pays. La perte potentielle de 1,7 million de barils/jour ferait grimper les prix à 90 dollars, selon une dynamique progressive. Mais ce scénario dépend aussi de la réaction des pays du Golfe.
Bien que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis disposent ensemble de 3 à 4 millions de barils/jour de capacités inutilisées, ils pourraient hésiter à les mobiliser, craignant d’être perçus comme complices d’Israël.
Le scénario le plus extrême reste celui d’une tentative iranienne de bloquer le détroit d’Ormuz. Ce goulet stratégique par lequel transitent environ 30 % du pétrole brut et 20 % du GNL mondiaux est vital pour la stabilité énergétique mondiale. Une telle action, bien que régulièrement évoquée par Téhéran, n’a jamais été exécutée en raison de son caractère autodestructeur : l’Iran utilise lui-même ce détroit pour ses exportations.
Mais si une logique de guerre de survie s’imposait à Téhéran, le régime pourrait décider de jouer sa dernière carte. Dans un tel cas, même en redirigeant une partie de ses flux via le pipeline Est-Ouest, l’Arabie saoudite ne pourrait pas compenser les pertes totales : 85 % des exportations irakiennes, et la totalité de celles du Koweït, d’Oman et du Qatar seraient bloquées.
Le Brent dépasserait alors les 100 dollars, voire 120 dollars si des sites comme Abqaiq ou Ras Tanura étaient frappés.
L’Iran est cependant en position de faiblesse. Deux options dangereuses s’offrent à lui s’il cherche à restaurer sa dissuasion : d’une part, une fuite en avant nucléaire, avec un possible retrait du TNP, ce qui enclencherait un régime de sanctions bien plus lourd, y compris par la Chine, principal acheteur de pétrole iranien.
D’autre part, la tentative de provoquer une crise pétrolière mondiale en ciblant les points névralgiques du système énergétique régional. Or, les infrastructures iraniennes elles-mêmes sont vulnérables : mal défendues, éloignées des centres militaires, elles sont à la merci d’une frappe ciblée. Outre l’île de Kharg, les raffineries de Bandar Abbas et d’Abadan, qui traitent plus de 500 000 barils/jour, sont des cibles stratégiques faciles à frapper pour Israël.
À cela s’ajoute une dynamique plus structurelle : la hausse des prix, même spéculative, offre une opportunité aux producteurs américains de pétrole de schiste. Ils peuvent fixer leurs prix futurs à des niveaux élevés et réactiver des forages, contribuant à maintenir l’équilibre offre-demande à moyen terme.
En parallèle, l’incertitude géopolitique pourrait freiner l’investissement et le commerce mondial, ralentissant la demande de brut. Autrement dit, plus le conflit dure, plus les effets macroéconomiques (ralentissement de la demande, hausse du dollar) pourraient contrebalancer l’impact haussier initial.
En arrière-plan, les marchés financiers restent prisonniers d’un brouillard d’incertitude. La spéculation géopolitique domine : comme un iceberg, seuls 20 % des intentions et des dynamiques réelles sont visibles. Les investisseurs achètent de la couverture : pétrole, or, actions énergétiques, valeurs défensives.
Et le moindre signal, diplomatique, militaire, logistique peut faire basculer les anticipations. Le vendredi est ainsi devenu un point d’inflexion : les positions de couverture prises avant le week-end reflètent le niveau d’anxiété implicite.
Enfin, si l’Iran décide de cibler l’infrastructure pétrolière d’un autre pays du Golfe, le message serait clair : transformer la guerre asymétrique avec Israël en choc économique global. Le précédent de la guerre en Ukraine a montré que l’Occident peut tolérer une certaine escalade, mais pas à n’importe quel prix.
Lorsqu'elles sont ciblées lors d'attaques, les répercussions peuvent être dévastatrices, tant sur les plans économique que géopolitique. Les champs de production, comme le champ Ghawar en Arabie Saoudite ou le champ gazier Pars Sud en Iran, constituent la première ligne de vulnérabilité. En cas de destruction ou de dommages significatifs, la production mondiale pourrait être gravement compromise, ce qui entraînerait une flambée des prix et des pénuries d'approvisionnement.
Les raffineries, telles que celle d'Abqaiq en Arabie Saoudite ou celles d'Asalouyeh en Iran, sont tout aussi critiques. Leur destruction pourrait paralyser la chaîne d'approvisionnement en carburants raffinés, essentiels pour les transports et l'industrie.
De plus, les oléoducs et gazoducs, notamment l'oléoduc Est-Ouest en Arabie Saoudite ou le Kirkouk-Ceyhan reliant l'Irak à la Turquie, sont des cibles vulnérables, traversant souvent des zones conflictuelles. Une attaque sur ces infrastructures pourrait interrompre les exportations de pétrole et de gaz, aggravant ainsi les tensions économiques mondiales.
En plus, les terminaux d'exportation, comme ceux de Ras Tanura en Arabie Saoudite ou Ras Laffan au Qatar, sont des points névralgiques pour l'envoi de pétrole et de gaz vers les marchés mondiaux. Leur vulnérabilité aux attaques en fait des cibles stratégiques dans les conflits, pouvant provoquer des blocages d'exportation massifs.
Par la suite, les stations de pompage et les installations de stockage, qui maintiennent la pression dans les pipelines et stockent de grandes quantités de produits, sont également exposées. Leur destruction pourrait entraîner des interruptions d'approvisionnement et des incendies majeurs, aggravant les perturbations économiques.
Par ailleurs, les installations offshore, situées dans des zones stratégiques comme le Golfe Persique ou la Méditerranée orientale, sont particulièrement difficiles à défendre. Leur capture ou destruction, comme celle des plateformes de Léviathan et Tamar en Israël, pourrait entraîner des interruptions massives dans la production d'énergie.
Enfin, dans ce contexte, les installations de liquéfaction de gaz naturel, telles que celles de Ras Laffan au Qatar, ainsi que les centrales électriques alimentées au gaz, sont également des cibles potentielles. Leur destruction pourrait non seulement perturber les flux énergétiques, mais également provoquer des coupures d'électricité massives, notamment dans les pays dépendants du gaz, exacerbant les crises humanitaires et économiques.
Plus particulièrement, la région entourant Israël et l'Iran revêt une importance stratégique majeure dans le domaine de la production et du transport de pétrole et de gaz. Ces deux pays jouent des rôles distincts mais cruciaux dans l'approvisionnement énergétique mondial, et toute perturbation dans leurs infrastructures ou leurs routes de transport pourrait avoir des répercussions à grande échelle.
L'Iran, avec environ 9 % des réserves mondiales de pétrole, est un acteur clé dans la région. Ses principaux champs pétroliers, situés dans la province de Khuzestan près du Golfe Persique, comme Ahvaz, Aghajari, et Marun, constituent des ressources vitales.
En parallèle, l'Iran détient également d'importantes réserves de gaz naturel, en étant le deuxième plus grand détenteur au monde. Le champ gazier de Pars Sud, partagé avec le Qatar, est l'une des plus grandes sources de gaz de la planète. Toute attaque ou interruption de la production dans ces zones pourrait considérablement affecter le marché mondial.
Israël, bien que non producteur significatif de pétrole, a découvert d'importants gisements de gaz en Méditerranée qui ont changé sa donne énergétique. Les champs gaziers de Tamar et Léviathan, découverts respectivement en 2013 et 2010, sont désormais des sources majeures de production.
Le champ Léviathan, en particulier, alimente non seulement Israël mais aussi des pays voisins comme la Jordanie et l'Égypte, renforçant ainsi son importance stratégique. Ces découvertes permettent à Israël d’envisager une indépendance énergétique tout en se positionnant comme exportateur vers l'Europe, notamment par l'intermédiaire des infrastructures de gaz naturel liquéfié (GNL) égyptiennes.
En Israël, le East Mediterranean Gas Pipeline (EMG) joue un rôle crucial en reliant le pays à l'Égypte, où le gaz est liquéfié avant d’être exporté vers l'Europe. Ce pipeline permet à Israël d'exploiter pleinement ses ressources offshore, devenant ainsi un exportateur majeur de gaz naturel.
Des projets futurs, comme le pipeline sous-marin EastMed en partenariat avec Chypre et la Grèce, visent à transporter le gaz israélien et chypriote vers l'Europe. Ce projet stratégique pourrait contribuer à diversifier les sources d'approvisionnement en gaz pour l'Europe, réduisant ainsi sa dépendance au gaz russe. Cependant, il fait face à des défis techniques et financiers importants.
Enfin, les routes via l'Égypte sont également primordiales pour Israël, puisque des discussions sont en cours pour intensifier l'utilisation des infrastructures égyptiennes de GNL pour exporter le gaz israélien vers les marchés internationaux, notamment en Europe et en Asie.
L'évolution de ces infrastructures et routes de transport dans cette région en proie aux tensions géopolitiques est capitale pour l'approvisionnement énergétique mondial, et tout blocage ou attaque pourrait avoir des conséquences dévastatrices.
Le monde n’aime pas les « bad guys », mais il aime encore moins le pétrole à 130 dollars. Téhéran le sait, et c’est peut-être là sa carte la plus redoutable.